Strauss, une "famille" très gourmande
La géante de l'agroalimentaire israélien est dirigée en famille depuis près d'un siècle, et n'aime pas trop qu'on la qualifie d'empire industriel. C'est pourtant bien ce qu'elle est.
Au programme
Une entreprise décryptée : Strauss 🍮
Portefeuille : les prix décollent du pouvoir d’achat
Smart conso : un bon réflexe 🛒
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Kadima👇
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Un exemple très simple dans cette comparaison entre deux produits apparemment semblables, des barres au granola. Au lieu de comparer les données nutritionnelles et de lire toute la composition pour se faire une idée, une simple recherche dans Kaspenu nous donne la réponse. Alors que la barre Rafael’s est notée A en Nutriscore et a une note globale excellente de 60/100, la barre Shkedia (une marque qui se vend comme naturelle) a un Nutriscore E et une note globale de 15/100. Le choix est vite fait! Kaspenu introduit en Israël en exclusivité et pour la première fois le Nutriscore, l’indice nutritionnel le plus fiable recommandé par l’OMS.
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Fraises à la crème
J'adore les légendes qui fondent le narratif des grandes entreprises internationales. Elles sont censées les relier à nous, les consommateurs, et nous rendre proche, sinon sympathique, une entité qui nous vend (trop) cher les produits de notre quotidien.
Ainsi de Hilde Strauss et de son dessert aux fraises. Après leur aliya d'Allemagne en 1936, pour échapper au régime nazi, le couple s'installa à Nahariya où il acheta une petite ferme avec deux vaches. Hilde, nous raconte le site, se mit à fabriquer un dessert maison avec la crème du lait, et des fraises qu'elle cueillait elle-même dans les champs. Vous devinez la suite : il était tellement bon qu'elle se mit à les vendre autour d'elle, puis le couple ouvrit une manufacture. Et voilà. Comme pour Roladin, la légende comprend sionisme, travail, « fait maison » et communauté. Ainsi se sont créés tous les empires industriels d'Israël ou presque, si bien que même un conglomérat international est considéré par l'opinion publique comme une société blanc-bleu bien de chez nous et proche des gens.
La réalité ne peut pas être plus différente. Strauss s'est très rapidement industrialisée, et la vérité est que son histoire est très inspirante et témoigne d'un flair et d'un esprit d'entreprise véritablement pionniers, mais aussi d'un esprit cosmopolite et plus sophistiqué que celui des entreprises de type coopératif comme Tnuva. Cette opposition - qui existe toujours aujourd'hui - est un peu celle de l'Israël des villes face à l'Israël des champs. Aucun kibboutznik ni membre du Bund dans la famille Strauss, mais une culture allemande bien européenne et un talent certain pour l'argent et la rentabilité.
Strauss se développa très rapidement à travers une expansion industrielle importante, mais aussi des aides gouvernementales - alors que l'entreprise était encore assez petite, elle se trouva en difficulté financière en 1959. Le père fondateur Richard Strauss et son fils Michael, qui devint par la suite le patron mythologique de l'entreprise, n'hésitèrent pas à solliciter l'aide du ministre de l'Industrie et du Commerce Pinchas Sapir; celui-ci leur accorda un prêt qui sauva la société et lui permit de développer son activité de glaces.
Petits suisses sans passeport
Mais Strauss, c'est aussi l'entreprise qui importait plus ou moins légalement des concepts de produits fabriqués et vendus à l'étranger. Ainsi de la petite "aventure" de la société avec Gervais. Michael Strauss, après un voyage de prospection en Suisse, avait trouvé les petits suisses Gervais tellement bons qu'il se procura la recette et décida de les copier, tout simplement. Gervais dut menacer Strauss d’une action en justice en 1962, pour que la société rentre dans le droit chemin et accepte de payer des royalties à Gervais en échange de l'utilisation de sa recette. En 1969, l'entreprise signe un accord de partenariat avec le Groupe Danone, et Strauss commence à fabriquer et distribuer les produits Danone en Israël. La fusion avec Elite, qui fera l'objet du prochain article principal de la newsletter, paracheva cette montée en puissance.
Strauss devient la plus grosse entreprise d'agroalimentaire israélienne, un géant du hummus et des salades réfrigérées avec sa marque Ahla, signe des accords avec PepsiCo et Unilever, et se transforme en monopole sur de nombreux segments du marché israélien, part à la conquête du monde du café et des bars à eau... Et continue à se présenter comme la "famille Strauss" même si l'entreprise est publique et cotée en Bourse - la famille a toujours le contrôle avec 52,98% des actions.
Pour comprendre un peu mieux la façon de prospérer et de gérer son image, j’ai choisi un exemple très simple. Le Dany de Strauss est censé être le Dany de Danone, sauf qu'une rapide comparaison des compositions des deux produits montre la même approche cheap que j'ai déjà dénoncée dans ma vidéo sur le Milky il y a cinq ans. Là où Danone utilise du vrai chocolat, pas beaucoup mais quand même, Strauss se contente de cacao dégraissé. Le Dany de Danone ne contient que deux additifs, et relativement naturels (un gélifiant à base d'algues et de la lécithine de soja), le Dany de Strauss lui contient de l'amidon de maïs et quatre stabilisants et épaississants (pour compenser l'absence de chocolat). Par contre, le Dany de Strauss est moins sucré, il fait partie du club des desserts à 9,9 g de sucre (à 10g on a une étiquette rouge, c'est une technique pratiquée par tous les producteurs en Israël sans exception)
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Il est évident que le coût de revient du Dany de Strauss est bien inférieur à celui du Dany de Danone, pourtant il est vendu environ 3 shekels pièce. Dans un supermarché Carrefour français lambda, le pack de 4 coûte 1,57€. Même au taux de change très élevé d'avril 2025 (4,18 shekels), ça fait 6,56 shekels les quatre, soit 1,64 shekels pièce. Au taux plus normal de 3,80 qui a prévalu pendant les deux dernières années, ça fait 5,99 sh soit 1,49 shekels pièce. Autrement dit, le Dany israélien est moins qualitatif (même si moins sucré, ce qui est un plus) et coûte presque deux fois plus cher ici.
Une famille pas très accueillante avec la concurrence
Au-delà de cette logique un peu yeke selon laquelle on peut vendre facilement au petit peuple des produits de qualité assez médiocre avec un marketing très quali et une image de marque axée sur des valeurs d'entreprise responsable (diversité, environnement, souci pour le coût de la vie, philanthropie), on est quand même face à un greenwashing assez stupéfiant. Une recherche très simple sur Google avec les mots Strauss, procès, monopole, concurrence, donne une flopée de résultats et on voit un pattern de comportement qui se reproduit régulièrement. La société est régulièrement citée dans des actions en justice pour des démarches qui entravent ou ne respectent pas la concurrence ou les droits d'autres entreprises.
Ainsi du blocage pur et simple de l'entrée de Cadbury sur le marché israélien, pour lequel Strauss fut condamnée à payer 2,5 millions de dollars de dommages et intérêts, mais surtout ces deux dernières années, des accusations très graves d'entente sur les prix et une enquête ouverte par l'autorité de la concurrence en 2023. Il y a eu aussi en avril 2022 une très grave contamination à la salmonelle dans l'usine de Nof Hagalil, qui a entraîné un rappel massif de produits Elite et une suspension de la production, affectant considérablement les ventes et la réputation. Parallèlement, sa participation dans Sabra aux États-Unis a été entachée par plusieurs rappels pour contamination à la salmonelle et à la Listeria, contribuant à la décision de Strauss de vendre sa part à PepsiCo en 2024.
Mais deux ans et une vidéo d'excuse plus tard, Strauss trouve tout à fait normal, sous la présidence d'Ofra Strauss, la fille de Michael, et du PDG Shai Babad, ancien directeur du département budgétaire du ministère des Finances, d'augmenter les prix quatre fois en l'espace de 24 mois - décembre 2022 (2,9%), mai 2023 (1,4%), janvier 2024 (1,7%) et janvier 2025 (2,9%), se justifiant comme toujours par l'augmentation des coûts des matières premières et de l'énergie, qui, c'est connu, ne baissent jamais en Israël.
En 2024, le groupe a enregistré un chiffre d'affaires de 11,2 milliards de NIS, soit une augmentation de 6,2% par rapport à 2023, avec un bénéfice net de 418 millions de NIS. Strauss Israël a contribué de manière significative à la prospérité du groupe avec un chiffre d'affaires de 5,1 milliards de shekels en 2024. Le groupe Strauss a montré une croissance constante de son chiffre d'affaires au cours des trois dernières années, la rentabilité s'est maintenue à des niveaux importants. De plus, n'oublions pas que Strauss détient des positions monopolistiques sur plusieurs marchés en Israël : les produits laitiers et alternatives végétales, le café, les chips et snacks salés, et les chocolats et confiseries.
Finalement, Strauss est le complément parfait de Tnuva en terme de type de monopole israélien. Pas de prétention à être la marque du peuple, pas de maison à toit en tuiles rouges sur fond de champ verdoyant, certainement pas. Par contre, un marketing très agressif et sophistiqué destiné à vendre des produits tout à fait identiques ou similaires à ceux de Tnuva, mais avec un flair européen, des marques internationales dont les produits sont dégradés aux normes israéliennes, vu que les consommateurs, c'est connu, n'y connaissent rien.
Pourquoi le café coûte 20sh à la station service en bas de chez vous ☕
Le sentiment persistant d'un coût de la vie anormal en Israël trouve une confirmation éloquente dans les récentes données de l'OCDE. Le dernier rapport de l'organisation souligne en effet une réalité que de nombreux consommateurs perçoivent au quotidien : le budget des ménages est sous pression constante et intenable.
Selon l'OCDE, Israël se positionne désormais au 4ème rang des pays membres pour le coût de la vie, une fois ajusté au pouvoir d'achat des habitants. Plus frappant encore : l'écart de 35% - le plus élevé de l’organisation - entre le niveau des prix en Israël et celui que l'on devrait voir compte tenu de son PIB par habitant, . En d'autres termes, les consommateurs israéliens paient des prix comparables à ceux de pays où le niveau de richesse est significativement supérieur, tandis que les salaires restent en dessous de la moyenne de l'OCDE
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L'analyse des prix de l’alimentation révèle une tendance particulièrement marquée. Alors que l'inflation globale a ralenti à 3,3% en mars, l'inflation des produits alimentaires caracole à 4,9% pour la même période. Sur les douze derniers mois, on constate des hausses vertigineuses sur des produits de base comme le cacao (+20,1%), le café (+11,2%), les biscuits (+10,4%) et le lait (+6,2%). Sur une période plus étendue, depuis janvier 2019, l'indice général des prix à la consommation a progressé de 16,2%, alors que les prix de l’alimentation augmentaient de 20%.
Quant à l’action du gouvernement pour alléger le coût de la vie, comment dire ? Il n’y a personne au bout du fil. Bien que la réforme “Ce qui est bon pour l’Europe” soit rentrée en application début janvier, elle est compliquée et obscure, et en l’absence d’attentes claires des consommateurs, les enseignes et les importateurs font la fête. Même pas mal.
L'OCDE dans son rapport souligne à quelle point règne en Israël une économie à deux vitesses. Le dynamisme de la high tech contribue significativement au PIB, mais une part importante de la population active est employée dans des secteurs où la productivité et les salaires sont beaucoup moins élevés. Cette configuration conduit à une situation où le coût des biens et services supporté par le consommateur moyen correspond davantage aux standards d’un pays à revenus et productivité plus élevés.
En conclusion, faire ses achats en Israël se traduit par un niveau de dépense qui peut paraître paradoxal, mais surtout absurde, au regard du pouvoir d'achat réel d'une partie significative de la population. Les cafés de stations service à 20 shekels, on en parle ?
Makro, un magasin comme on les aime 🧽
Itzik Mizrahi a développé une approche singulière pour son réseau de magasins de produits de nettoyage, de toilette et de cosmétiques Makro. Après avoir travaillé avec son père, il a décidé de se concentrer sur la vente en direct via ses propres magasins plutôt que par le biais de franchises, afin de garder un contrôle total sur son entreprise.
Sa politique de prix repose sur l'offre de produits à des prix particulièrement bas, visant un "juste prix" rendu possible par une structure de coûts allégée. Comme il le dit lui-même : "Je pense à moi comme à quelqu'un qui vend au juste prix. Mais en raison de notre méthode de travail et de notre structure de coûts, mon juste prix est relativement bas." Mizrahi critique ouvertement les pratiques d'autres acteurs du marché qui augmentent leurs prix de manière excessive en réaction aux fluctuations des taux de change ou du coût des matières premières sans les baisser quand ces coûts diminuent. Il affirme que Makro propose les prix les plus compétitifs pour des produits de qualité équivalente. Il n'hésite pas à critiquer les grandes marques et leurs dépenses inutiles.
La stratégie marketing de Makro est volontairement discrète. Au lieu d'investir dans la publicité traditionnelle, Mizrahi mise sur un marketing "secret" de bouche-à-oreille. Comme il le résume : "Notre publicité, c'est le bouche-à-oreille." Cette approche crée un sentiment d'exclusivité et d'appartenance chez les clients, qui se sentent membres d'une communauté. Le patron lui-même s'implique dans la présentation des produits, agissant comme vendeur et démonstrateur dans le magasin d'usine. Il préfère offrir de nouveaux produits aux clients plutôt que de distribuer des échantillons qui augmenteraient les coûts. Bref j’ai eu un coup de coeur, à essayer !
📲Pour devenir un consommateur plus smart
L’application Kaspenu que j’ai développée avec une équipe fantastique de volontaires est en beta test : ça veut dire qu’un petit nombre de personnes peuvent l’utiliser avant sa mise à disposition dans les stores, donner leur avis et nous aider à l’améliorer.
Pour vous inscrire comme testeur, remplir le formulaire suivant (l’application ne peut pas se télécharger sans inscription, inutile de la chercher dans les stores) : devenir beta testeur
Vous pouvez vous inscrire si vous souhaitez être ambassadeur de l’application lors de sa sortie (en parler autour de vous, accueillir une soirée de démonstration, faire des vidéos tuto) en m’écrivant : yaelle@kaspenu.org
Vous pouvez contribuer (Kaspenu est une organisation à but non lucratif financée exclusivement par des contributions) grâce à ce lien : faire un don à Kaspenu
Toujours instructif mais déçu de ne pas pouvoir utiliser l'application kaspenu du fait de mon hébreu très médiocre et malheureusement toute la communauté française autour de nous seraient des ambassadeurs pour promouvoir une grande communauté de consommateurs avisées.
Yaelle, merci pour cette app façon Yuka mais justement, à quand l'accès de l'app en Français, Russe, Arabe, Anglais etc?