Spécial été - la saga des marques : Diplomat
L'incarnation de l'importateur exclusif qui s'enrichit de façon disproportionnée en important des marques internationales, Diplomat a peut-être terminé son âge d'or.
Au programme
Une entreprise et son histoire : Diplomat
Un chiffre à la une : la fausse baisse de prix d’Osem 📈
Smart conso : faut-il faire ses courses dans un quartier ultra-orthodoxe ? 🛒
Pour en savoir un peu plus 🎙️
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Ce mois-ci, je vous emmène avec moi au supermarché, au rayon riz. Bonne écoute !
Exclusif, très exclusif
Connaissez-vous le nom de l’importateur de vos rasoirs Gillette, de vos céréales Kellog’s ou de votre sauce soja Kikkoman en France ? Évidemment non, pour la bonne raison que les groupes industriels qui les produisent ont des filiales françaises ou européennes, qui commercialisent leurs produits sur le territoire français, à des prix relativement identique ou adaptés au pouvoir d’achat ou aux habitudes locales.
Ce n’est pas du tout le cas en Israël. Ici, un peu comme pour les voitures, les marques passent un accord avec un importateur et lui accordent l’exclusivité de la distribution de leur produit en Israël, même si c’est de facto contraire à la loi qui prévoit que le commerce est libre dans le pays. Il existe donc tout une classe d’importateurs exclusifs qui contrôlent le robinet des marques, choisissant quels produits importer, en quelle quantité, où les vendre, et surtout, évidemment, à quel prix.
La raison pour laquelle les marques étrangères sont vendues à des prix exorbitants en Israël, parfois jusqu’au double ou plus de leur prix dans des pays ‘normaux’, est qu’il faut bien nourrir ces importateurs exclusifs, qui font partie des sociétés les plus rentables et les plus rapaces du marché et contribuent très largement au coût de la vie en Israël. Sans contribuer par la moindre innovation ni prendre le moindre risque, ces sociétés s’en mettent littéralement plein les poches juste grâce à la culbute effectuée sur la revente de céréales, biscuits, shampooings et autres produits du quotidien. Et la plus célèbre est, bien entendu, Diplomat.
Pourquoi sait-on aujourd’hui plus de choses sur Diplomat et pourquoi a-t-elle été exposée au regard public avec les résultats que j’expliquerai plus loin ?
Tout simplement parce que ce bon vieux monopole des familles a décidé de rentrer en bourse en 2021. Jusque-là et à l’instar de l’écrasante majorité des monopoles d’importation comme Shestovich, Williger ou Leyman Shisel, Diplomat était une société familiale et donc privée, et comme telle, non obligée à la publication de ses comptes.
Toutefois à l’occasion de sa transformation en société publique, Diplomat a été obligée de publier ses données financières, afin d’appâter d’éventuels futurs actionnaires. Suivant les prix mirobolants auxquels sont vendus en Israël le shampooing Head&Shoulders, le ketchup Heinz ou les Corn-Flakes, on pouvait supposer que Diplomat devait se mettre un sacré bénéfice en poche mais on en était réduit à des estimations. Depuis 2021, on sait de façon certaine que le bénéfice net de Diplomat est exceptionnel par rapport à son secteur d’activité, et grâce aux incessantes hausses de prix opérées ces dernières années, il ne fait que s’améliorer.
Le roi des rasoirs et des céréales
Revenons un peu en arrière : Diplomat a été fondée en 1963 aux Etats-Unis, et a démarré en fabriquant et distribuant localement des rasoirs sous la marque Pharma-Sharp ; dès 1968, elle a commencé à importer et distribuer en Israël des produits de grande consommation. La société s’est également implantée par la suite en Géorgie, Nouvelle-Zélande, Chypre, et Afrique du Sud. Les produits importés appartiennent à deux grandes catégories, l’alimentaire, qui est responsable d’environ la moitié du CA et les produits d’hygiène, entretien et cosmétique. Parmi les marques distribuées : Heinz, Jakobs, Oreo, Pringles, Lotus, Kellog’s et Kikkoman pour l’alimentaire, et Ariel, Gillette, Head and Shoulders, Always, Pantene, Wella, Pampers, Tampax, Oral B…
Le CA de Diplomat était de 3.7 milliards de shekels en 2023, contre 2.95 en 2022 et 1.8 en 2020. La société fournit environ 3.000 clients, aussi bien les grandes chaines de supermarché et de pharm que les épiceries, minimarkets et magasins de stations-service, mais aussi les hôtels et les restaurants. Sans surprise, on apprend que la grande distribution représente 75% des ventes, Rami Levi et Shufersal pesant à eux seuls un tiers du CA.
Diplomat a le privilège d’être depuis 1995 l’importateur officiel et exclusif en Israël de Procter&Gamble, le géant américain de l’entretien et de l’hygiène (82 milliards de dollars de CA en 2023, plus de 60 marques internationales), avec une très forte dépendance à cet accord qui représente plus de la moitié de ses achats ; elle distribue aussi Mondelez (géant du chocolat et des bonbons, 36 milliards de dollars de CA en 2020) et elle est propriétaire de la marque Starkist (40% des ventes de thon en boite en Israël).
Les produits de Procter&Gamble ont représenté en 2020, 60% des produits vendus par Diplomat en Israël et … 72% de ses profits. On commence à voir un modèle qui se dégage.
Plus Diplomat permettra à Procter et Gamble de lui vendre ses produits à un prix élevé et sera en position de maintenir le niveau des ventes, plus la probabilité de conserver son statut d’importateur exclusif est grande, sans compter que Procter ne paie aucun impôt sur les revenus tirés des ventes israéliennes déclarés auprès d’une filiale suisse. Verrouiller le marché, faire la guerre à l’importation parallèle, maintenir des prix élevés sur un marché insulaire et captif où l’Etat ne fait absolument rien contre les monopoles, et tout le monde est riche et content, sauf le consommateur bien entendu.
Car en effet ces produits de consommation courante sont vendus à prix d’or en Israël et de nombreux d’entre eux sont des monopoles, même si malgré de nombreuses demandes d’associations, l’Autorité de la Concurrence refuse de les déclarer comme tels.
Gillette règne par exemple sur 85% du marché des rasoirs jetables. Quelques exemples issus d’une comparaison des prix effectuée par mes soins récemment : le paquet de Corn Flakes 500g : 17;90 sh en moyenne en Israël, environ 2,99 € en France soit une différence de 49,7 %. Les biscuits Oreo, 58,30 sh/kg en Israël et 28,10 sh/kg en France soit le double (j’avais fait cette même comparaison en 2021 et alors la différence n’était “que” de 55%) ; rasoirs Gillette Blue II 3 sh l’unité (après une très grosse baisse de prix ces dernières années) et 1,59 sh en France, soit le quasi le double en Israël.
Sans compter le prix honteux des protections périodiques Always, que beaucoup de femmes rapportent carrément de voyages à l’étranger. C’est simple : à chaque fois que Diplomat distribue une marque forte, désirable en termes d’image, le consommateur israélien doit casquer.
Seule la lessive en poudre Ariel est vendue nettement moins chère en Israël qu’en France, ce qui s’explique évidemment par la taille des familles et le budget lessive d’un ménage.
Quand je serai grand, je serai importateur
Les données financières publiées par Diplomat montrent une marge brute de 20% totalement exceptionnelle selon les standards du secteur, cela après avoir acheté les produits à ses fournisseurs, probablement sans ristourne particulière car Israël n’est pas un gros marché, acquitté une commission d’exclusivité qui lui donne le statut de distributeur officiel et payé tous les frais d’acheminement, autorisations, avant frais financiers, impôts, taxes etc… C’est énorme, et évidemment cela découle des prix auxquels elle vend aux enseignes.
Sur le papier, la marge opérationnelle finale est de 4,6%, mais c’est après des distribution de dividendes très généreux et l’attribution d’un salaire annuel de plus de 9 millions de shekels à Noam Wiman, le PDG. On apprend également de ces documents que la marge nette de Diplomat en Israël est double de celle d’Afrique du Sud ou de Nouvelle-Zélande, et triple de celle de la Géorgie. Et il y a quelqu’un qui la paie de sa poche via les prix pratiqués, évidemment ce sont les consommateurs israéliens.
L’année dernière a été un peu moins rose mais c’est une exception : Nos amis de Diplomat ont eu une embrouille. Ils ont fait partie avec Osem, Neto, Sano, Strauss et Unilever, d’avoir fait des ententes illégales sur le prix entre “concurrents”, d’avoir violé les dispositions de la loi sur les produits alimentaires concernant l’occupation par des sociétés dominantes de la surface de rayons.
Au lieu d’aller au bout de l’enquête et de mettre fin à ces pratiques, l’Autorité de la Concurrence a déclaré n’avoir ni les moyens ni le temps d’enquêter et a passé en avril 2024 avec les marques un deal. Diplomat a dû payer 9 millions de shekels d’amende, ce qui a porté un coup à sa marge nette. Elle s’est rattrapée en augmentant non pas une, mais deux fois ses prix depuis le début de la guerre. On ne se refait pas.
La réforme “Ce qui est bon pour l’Europe est bon pour Israël” de Nir Barkat, en phase finale de débats parlementaires, viendra-t-elle un peu émousser la position très dominante de Diplomat ?
Rien n’est moins sûr, car les problématiques de standards uniques ne sont qu’indirectement liées à celles des distributeurs exclusifs qui par leur statut même, verrouillent un marché et en maintiennent le prix artificiellement élevé.
9 sur 3.700 📈
C’est le nombre de produits sur lesquels la marque Osem a annoncé en fanfare et avec des gros titres une baisse de prix. Retour sur une intox.
La semaine dernière, gros titres de dans la presse économique, y compris au journal de 20h de la chaîne 12, la plus regardée du pays, avec le teaser suivant : “la marque qui ose baisser les prix en pleine guerre”.
En effet c’est intriguant, en pleine vague délirante d’augmentation des prix depuis plus de six mois. Et on nous annonce donc qu’Osem a décidé “d’aller vers les consommateurs" et de baisser de 8 à 15% le prix d’une série de produits destinés aux familles.
On en a presque la larme à l’oeil. Quant à moi évidemment, je reste extrêmement sceptique et j’attends de voir (ainsi que tous les journalistes conso un peu sérieux).
crédit photo : General Mills
Après une vérification très basique, et comme souvent ici, le scoop n’en est pas un. Osem qui appartient à Nestle Monde a très fortement augmenté ses produits cette année, pas seulement via le prix tarif mais en passant par une combine bien connue dans les supermarchés israéliens : l’annulation de promos quasi permanentes. En Israël on ne va quand même pas faire un prix attractif sur des produits leaders, il ne manquerait plus que ça. Non, on les met en promo quasi toute l’année. Osem a donc supprimé il y a quelques mois les promos sur des céréales très vendues : Cinni mini, Crunch, Trix (que des produits ultra-transformés et bourrés de sucre en passant). Leur prix a bondi de 15-16 sh environ à 20 sh. Une augmentation énorme pour beaucoup de familles qui ont réagi en achetant moins ou en changeant de produit. Osem ne communique évidemment pas sur le sujet mais les ventes ont probablement fortement chuté. Parallèlement à cela, Nestle Monde traverse une tempête financière et a récemment publié une série de communiqués exprimant son intention de cesser d’augmenter les prix de ses produits. L’ancienne bonne élève Osem avec ses 20-30% d’augmentations de prix est tout à coup un peu moins populaire. Du coup on orchestre une opération de relations publiques et on annonce des baisses de prix alors qu’on ne fait que restaurer le prix d’il y a six mois. Pas de limite au cynisme et à prendre les consommateurs pour des imbéciles.
Les supermarchés ultra-orthodoxes toujours imbattables
L’enseigne Shufersal - 60% du marché de la grande distribution - a été reprise récemment par les frères Amir, anciens propriétaires de Freshmarket, et dont les méthodes assez brutales sont bien connues dans le milieu. Ils ont par exemple instauré des règles de négociation consistant à demander aux petits et moyens fournisseurs des ristournes énormes, en le menaçant en cas de refus de les retirer des rayons. Ils ont également augmenté les prix de 4 à 5% sur toute une série de produits.
Là où les prix n’augmentent pas par contre, c’est chez Yesh Hesed, l’enseigne de Shufersal destinée au public ultra-orthodoxe. Les produits sont les mêmes, les propriétaires aussi, les prix par contre sont inférieurs de près de 16% selon une comparaison sur plus de 2000 produits établie par le journal The Marker. Le public haredi montre encore et toujours sa force et sa capacité à ne pas se laisser arnaquer. Entre organisations d’achat groupé et pouvoir de boycott très efficace, il force l’admiration dans un marché où les consommateurs se font balader par les marques et les enseignes. Quant à Shufersal, elle se rattrape sur les autres et prend bien soin de ne faire aucune réclame pour son enseigne moins chère et surtout de ne jamais proposer la livraison dans des quartiers non ultra-orthodoxe pour décourager ceux qui voudraient quand même profiter de meilleurs prix.
🎙️Pour en savoir plus
Les discussions budgétaires qui devraient battre leur plein sont au point mort, alors que le pays est dans une situation financière tendue suite à la guerre et à l’incompétence voire l’indifférence totale des politiques qui devraient veiller au grain. Décryptage au micro de Daniel Haik sur radio Qualita.
Chère Yaelle
Bravo pour cette nouvelle newletter comme toujours très documentée. Il existe une solution : celle du boycott. Arrêtez d'acheter des cornflakes et autre poison pour les enfants. Exceptionnellement pas plus. Retour à la cuisine avec des produits saints et cuisinés , pas ultra transformé comme ceux que vend Diplomat. pour les produits d'entretiens : CARREFOUR avec sa marque propre et BOOM le roi des bons plans ponctuels. Alors oui il faut se balader de super en super mais sur une année ça vaut le coup. Et ça les fera réfléchir j'espère.