Qui est responsable du coût hallucinant des voitures en Israël (partie 1) ?
Rouler en voiture en Israël revient trois à quatre fois plus cher que dans un pays "normal". Pourtant, vu l'état des infrastructures, les citoyens n'ont guère le choix. Anatomie d'un piège parfait.
Au programme
Un produit décrypté : la voiture 🚗
Portefeuille : des chiffres à la une 📈
Smart conso : un bon réflexe 🛒
Pour en savoir un peu plus
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Kadima👇
Véhicules : ça roule pour les importateurs exclusifs
4,1 millions de véhicules roulent sur les routes d’Israël dont 3,6 millions de véhicules privés, soit un pour trois habitants. 270.000 nouvelles voitures ont pris la route en 2023 : les Israéliens, en mauvais consommateurs incorrigibles, adorent changer de voiture. L’âge moyen d’un véhicule en Israël est de 6,7 ans, contre 11,5 ans dans l’Union Européenne. Les ménages israéliens consacrent 12.2% de leurs revenus à la voiture (la moyenne des pays développés oscille entre 5 et 10%, selon le prix de l’essence). Et les voitures sont chères, très chères.
Commençons par un constat : Israël ne produit pas de voitures. Après la brève aventure de la Sousita dans les années 1950-60, le pays s’est résigné à importer 100% de ses véhicules.
Image tirée du film “Susita” (crédit : DANNY SHECHTMAN/YES)
Le marché se caractérise par des accords entre un petit nombre d’importateurs et les constructeurs automobiles à travers le monde leur accordant l’exclusivité de l’importation, mais aussi de la distribution - donc de la vente - des voitures. Presque tout est dit, car ainsi s’explique une très grande partie du problème.
Dans un pays “normal”, ça ne fonctionne pas comme ça : il y existe un troisième étage, les concessionnaires. Ce sont parfois uniquement des vendeurs, parfois ils ont aussi une activité de garage, et ils se font concurrence puisque même s’ils sont liés à certaines marques (ils peuvent être monomarques ou multimarques), ils sont indépendants et pratiquent le prix qu’ils veulent, en toute liberté. Aujourd’hui, il existe également à l’étranger toujours, des sites de vente en ligne de véhicules à des prix très concurrentiels.
En Israël, pas de concessions : c’est un même importateur qui achète le véhicule au constructeur, à un prix que nous ne connaissons évidemment pas, et qui fixe son prix de vente pour tout le pays, à tous les acheteurs. Étant donné qu’il a la licence exclusive de ses marques, donc quasiment zéro concurrence, il n’a aucun intérêt à baisser ses prix. D’où des marges exorbitantes.
Entre 1999 et 2018, pas moins de 20 commissions ont été créées pour tenter de remédier au problème de surconcentration et d’abus de position dominante . Une grande loi-cadre a été passée en 2016 pour tenter d’organiser le marché et d’encourager la concurrence. On a ainsi tenté d’inciter les “importateurs indirects”, qui sont censés trouver des bonnes occasions dans d’autres pays et les importer à bas prix, ou encore importer des modèles non vendus par les importateurs exclusifs (bonne chance). Les chiffres, tirés du rapport du contrôleur de l’Etat consacré au secteur et publié en mars 2022, parlent d’eux-mêmes.
En 2020, les importateurs exclusifs (dits “directs”) de véhicules détenaient 96.6% du marché. Sur 216.000 véhicules importés en 2020 en Israël, 209.000 provenaient d’importateurs exclusifs, et 3.800 d’importateurs indirects. No comment.
Qui sont ces importateurs exclusifs et à quel prix vendent-ils ?
Le marché israélien des véhicules privés pèse environ 15 milliards de shekels. Le taux de marge moyen des 15 plus gros importateurs est de 8.6%, le double de la norme dans les activités de revente, occasionnant un surcoût pour les acheteurs de près de deux milliards de shekels.
Les marques populaires : trois constructeurs représentent près de 50% du marché : Hyundai 16%, Kia 14%, Toyota 14%.
Si l’on croise ces données avec les parts de marché des importateurs, qui sont des entreprises familiales privées pour la plupart, et de véritables empires de milliardaires, on découvre une structure bien connue en Israël, le cartel. Ces trois principales licences d’importation sont en effet détenues par… les trois plus gros importateurs, qui au lieu de se faire concurrence se partagent confortablement le marché, sur lequel ils règnent de toute façon grâce à leurs points de vente. Comme ça on est tranquille et l’acheteur, s’il n’est pas content, n’a qu’à s’acheter une paire de baskets.
Les importateurs principaux sont donc :
Calmobil - Famille Harlap - 21.4 % du marché avec donc Hyundai (mais aussi Mitsubishi et Mercedes et d’autres). Je n’ai pas la place de détailler dans cette newsletter mais évidemment il possède comme les autres sa propre société de leasing
Union - George Horesh - 15% du marché avec Toyota ( mais aussi Lexus et d’autres), sa boîte de leasing Toyota Easy Way et aussi un loueur de véhicules (pourquoi se priver quand on a le stock à portée de main).
Telcar - Rami Ungar - 12.7 % du marché avec Kia, mais aussi une société de crédit auto, et 40% de la soiciété de leasing GoTo.
Donc si on regarde bien, les parts de marchés des trois marques de véhicules les plus vendues en Israël, soit 44%, correspondent presque exactement à la part de marché de leurs trois importateurs - 48%. Cela montre un marché stable et bien organisé entre copains, qu’aucun des acteurs n’a intérêt à déstabiliser par des idioties comme être concurrentiel ou baisser les prix pour gagner des acheteurs. De toute façon, ces derniers sont bloqués hermétiquement à l’intérieur du pays, n’ont pas vraiment la possibilité d’acheter leur voiture en Syrie, au Liban, en Jordanie ou en Egypte, et sont captifs à 100%.
Pour finir, un instructif comparatif des prix des trois modèles les plus vendus en 2023 (tous hybrides !) :
La Atto 3 de la chinoise BYD (importée par Champion Motors) est vendue 169.000 shekels, soit 42.600 €. Proposée en France à partir de 37.000 €, alors même que de nombreux articles pointent le fait que le constructeur gonfle exagérément ses prix en Europe (ce véhicule coûte 15.000 € en Chine). Israël est 15% au-dessus de ce prix gonflé.
La Hyundai Elentra importée par Calmobil proposée à 172.000 shekels (43.320 €), soit une différence de 1.7% avec la Atto (un signe typique de marché cartélisé) est proposée dès 19.000 € chez certains concessionnaires… Soit 123% plus cher, plus du double.
La Kia Niro plus importée par Telcar est vendue à … retenez votre souffle, 172.000 shekels, même prix exactement que la Hyundai. A ce stade on n’est plus surpris. Et en France ? A partir de 30.000 € environ, soit 44% moins cher qu’en Israël.
Un système anti-concurrentiel et une situation géographique particulière exploités de façon cynique par un cartel bien organisé. Voilà la première composante très importante du prix trop élevé des véhicules en Israël. Le prochain épisode complètera le tableau avec le décryptage du rôle de l’Etat dans ces prix élevés, à travers la fiscalité, la réglementation, le prix de l’essence et les infrastructures. Stay tuned !
22 milliards 📈
C’est le montant du retrait des investisseurs étrangers du marché israélien : ils ont vendu depuis l’année dernière pour 14 milliards d’action de sociétés israéliennes et pour 14 milliards d’obligations.
Les étrangers quittent Israël et sont remplacés par les investisseurs institutionnels locaux - banques et compagnies d’assurance. La prime de risque élevée due à la situation géopolitique, et l’incapacité apparente du gouvernement à faire régner la confiance expliquent cette prise de distance des fonds étrangers.
Selon les données de la Banque d’Israël, en février 2024, 20% des actions de sociétés israéliennes et 11% des obligations d’Etat étaient détenues par des investisseurs étrangers pour des valeurs respectives de 201 et 69 milliards de shekels. Le marché financier israélien est surtout local. Dans les pays où la plus grande partie de la dette est détenue par des gouvernements et des investisseurs étrangers, toute vente massive de valeurs est catastrophique. Ce n’est pas notre cas.
Cette bonne nouvelle doit mener à deux enseignements importants : il faut impérativement imposer des normes de gouvernance et de bonne conduite aux géants de l’assurance qui tiennent entre leur mains notre épargne et la dette souveraine. Et il faut cesser de s’enthousiasmer (comme certains ministres l’ont fait) quand des pays comme Abu Dhabi se présentent pour prendre le contrôle de sociétés d’assurances, qui aujourd’hui font partie des principaux garants de la stabilité financière d’Israël.
Vols low-cost : le (presque) retour
Le terminal 1 va rouvrir le 2 juin aux vols internationaux, après avoir été fermé pendant plus de sept mois. Cela signale-t-il le retour des billets à bas prix ? Rien de moins sûr. Certes, on devrait revoir des compagnies aériennes comme Ryanair, qui avait annulé tous ses vols entre autres en raison des tarifs très élevés du Terminal 3, qui a fixé la taxe voyageur à $27, contre $11 pour le Terminal 1.
Notons que malgré la guerre, l’Autorité des Aéroports et le ministère des Transports dont elle dépend n’ont vu aucune raison de faire des réductions aux low-cost alors qu’ils avaient imposé cette fermeture, ni d’aider les compagnies étrangères en prenant en charge une partie de leur assurance devenue inabordable à cause du conflit. On a ainsi assuré un confortable monopole à El Al, lui offrant sur un plateau d’argent une part de marché de plus de 80% en janvier et février 2024, sans réclamer non plus la moindre contrepartie ni bloquer les prix comme on aurait pu le faire.
Les low-cost qui vont opérer dans le terminal 1 : Arkia, Israir, Wizz, Ryanair, Transavia et Georgian Airways. Toutefois, les prix des billets low-cost resteront significativement plus chers qu’avant la guerre, au moins deux à trois fois. Ils ne devraient pas baisser avant l’année prochaine, et cela uniquement si la situation géopolitique se stabilise.
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Merci beaucoup pour vos enquêtes même si c’est rageant de savoir qu’on est des pigeons et que rien ne peut changer le système mafieux israélien
c'est bien ce que j'avais entendu.
vos newsletter sont très intéressantes .
Pourquoi ne pas avoir un site un blog ?