Des conserves au prix du caviar ?
Un nouveau monopole est né, qui règne sur un secteur proposant en principe une alternative très peu chère aux fruits et légumes frais. Personne n'avait osé, Israël l'a fait : la conserve hors de prix.
Au programme
Un produit décrypté : les conserves 🍅
Portefeuille : le boom de la Defense-tech sauvera-t-il un secteur en crise ? 📈
Smart conso : attention aux crédits à la consommation 🛒
Pour en savoir un peu plus 🎙️
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Kadima👇
Pour une alimentation optimale, on essaie de donner la priorité aux fruits et légumes frais, plus attractifs, et disponible en saison. Avant même l'arrivée des surgelés, qui ont largement remplacé certains fruits et légumes frais vendus à des prix élevés, il y avait évidemment le recours, moins sexy mais à prix plancher, aux conserves. Conserves comme surgelés, il est important de le rappeler, conservent tous les vitamines et les minéraux des légumes et fruits. On avait l'habitude de dire quand quelqu'un était vraiment dans la détresse financière, qu'il se nourrissait uniquement de conserves. Mais dans notre beau pays, aucun de ces paradigmes ne fonctionne. Les fruits et les légumes qui étaient très abordable ont vu leur prix augmenter de près de 40 % sur les 5 dernières années, les surgelés sont hors de prix car ils sont aux mains du monopole Sunfrost qui appartient à Tnuva, et tous les franco-israéliens évoquent avec nostalgie le Picard surgelé qui se trouvait près de chez eux et qui permettait d'acheter fruits et légumes de bonne qualité à des prix imbattables. Restent les conserves : elles ont toujours été chères en Israël. Selon l'indice de comparaison des prix construit pour mon application Kaspenu, l'écart de prix moyen début 2024 était de 75 %. Aujourd'hui, cette situation a largement empiré avec la prise de contrôle de la société Zanlakol avec sa marque Yachin, sur le marché des légumes en conserve.
L’histoire d’une pionnière des agrumes devenue un conglomérat des conserves
Zanlakol a été créé en 1940 par la famille Scheinfeld, et s'est rapidement imposée comme leader sur le marché des conserves, rentrant en bourse dès 1983. Son usine se trouve à Alon Tavor, près d'Afula. En 1988, elle a acquis une autre marque du même secteur, Yachin, dont l’histoire est passionnante et emblématique de l’évolution économique du pays.
Equipe de conditionnement de fruits de Yachin, 1939, Kfar Saba
Yachin a en effet été fondée en 1927 par la Histadrut, comme une coopérative autogérée dans le but de consolider et installer l’agriculture juive du yishuv. L’entreprise cultivait des fruits et légumes, les conditionnait et les vendait, et a été une des pionnières du développement de la culture des agrumes en Israël. La coopérative avait des objectifs sociaux revendiqués : 1927 fut marquée par un chômage important, du à des difficultés à employer tous les nouveaux immigrants de la 4e alya. De grosses sociétés privées possédant des capitaux importants avaient commencé à acheter des terres pour y planter des vergers, y employant leurs ouvriers agricoles dans des conditions très dures, à bas salaire. Yachin se posait en concurrente avec une vision sociale et sioniste. Une belle histoire, sauf que …
Comme pour beaucoup de coopératives, les années 1990 furent celles de la crise financière et des privatisations de masse, en raison d’une part d’une adhésion de plus en plus importante à une idéologie capitaliste et libérale, suite à la révolution de 1977, mais aussi à l’incapacité de ces sociétés mal gérées, incapables d'assainir leur gestion et de changer de comportement. Yachin n’a pas fait exception : en 1992, elle fut vendue à l’homme d’affaires Sami Shimon. A l’identique de Tnuva et de nombreuses entreprises pionnières en Israël, Yachin possédait un vaste patrimoine immobilier, comprenant des vergers situés dans des zones très recherchées du centre du pays, des terrains industriels, ainsi que l”Immeuble Yachin" situé en plein centre de Tel-Aviv, à l’intersection Ibn Gvirol/ Kaplan. Après la vente, ses activités agricoles disparurent, englouties par des projets immobiliers.
Quant aux activités de la filiale "Yachin Industries" spécialisée dans les conserves, elles furent vendues à Zanlakol, qui transforma "Yachin" en une marque grand public (les autres marques de Zanlacol Pri Mevorach et Pri Zeh sont destinées au public ultra-orthodoxe mais ce sont de facto les mêmes produits). Et c’est ainsi que la pionnière des oranges cultivées par les premiers futurs israéliens est devenue une marque de boîtes de conserve.
L’importance de connaître la valeur du produit
Ca, c'est la saga Yachin. Qu’en est-il du marché des conserves en Israël ? Il est estimé à environ un demi-milliards de shekels. Comme on l’a dit, les prix sont élevés puisque les sociétés sont locales et ne connaissent ni le bon sens, ni la concurrence saine. Pour ça il faut aller à l’étranger. De la même façon que la Société de Train d’Israël n'a pas hésité à présenter, lors d’une campagne télé diffusée il y a deux ans, l'électrification de certaines lignes comme une avancée technologique majeure, alors que tous les trains sont électriques en Europe depuis le 19e siècle, on imagine que la plupart des Israéliens doivent penser que la mise en conserve implique des processus sophistiqués et très technologiques. A ceux-là, indiquons à toutes fins utiles que la conserve a été inventée au 18e siècle par le Français Nicolas Appert, permettant aux soldats des guerres napoléoniennes de consommer des aliments en bocaux qui ne s'abîment pas. La conserve est une denrée de base, peu technologique et très peu chère à fabriquer. La boîte métallique est aussi l'un des contenants les plus efficients pour l'industrie en termes de vitesse de remplissage sur les chaines. Bref si c’est très peu cher partout, aucune raison que ce soit cher ici. Sauf quand on a un leader qui mène la danse avec ses trois marques et qui décide de se ‘rebrander” pour augmenter ses prix. Le principal concurrent de Zanlakol, Pri Hagalil, une société coopérative pratiquant des prix plus modestes et déjà fragile financièrement, a été fortement impactée par la guerre dans le Nord, et a annoncé en septembre 2024 la fermeture définitive de son usine située à Hatzer Haglilot. Dès lors, Yachin s’est retrouvée en situation de quasi monopole. Étant donné la guerre et les difficultés économiques des ménages, Yachin a-t-elle décidé de se contenter de cette augmentation mécanique de ses ventes suite à la disparition de son concurrent ? Que nenni. Elle a opté pour une très forte augmentation des prix afin d'exploiter au maximum sa position dominante. Elle s'est ainsi conduite comme toutes les autres sociétés de l'alimentaire israélien, profitant sans vergogne de la situation difficile des familles et augmentant ses marges de façon exagérée, voir indécente.
C’est ainsi que deux mois seulement après la fermeture de l’usine de son principal concurrent, le prix des conserves Yachin a augmenté de façon importante. Aujourd’hui le prix moyen national d’une boîte de maïs de 335g est de 9,69 sh. Plus de 2,50€. Et Yachin annonce une nouvelle augmentation de 10% début janvier. Donc : monopole + gouvernement inactif + hutzpa = prix décollés de la réalité.
Branding et positionnement : ceci est une boîte de maïs
Qui a ne serait-ce qu’une pensée pour les familles du secteur général qui peinent à joindre les deux bouts ? Pas Yachin en tout cas. Par contre, Pri Mevorach, qui est rappelons-le, la marque mehaderin destinée au secteur ultra-orthodoxe, et qui vend EXACTEMENT le même produit fabriqué dans la même usine, vend ce même maïs moins cher, dès 5,90 sh la boîte dans des enseignes comme Shaarei Revaha.
Conclusion : comme très souvent en Israël, le prix du produit n’a aucun rapport avec sa valeur, et tout à voir avec l’impuissance du client qui se trouve en face à se faire respecter un minimum. Et seuls les secteurs de consommateurs qui refusent tout simplement d'acheter quand le prix est exagéré se voient gratifier d'offres un peu plus normales, même si les prix restent largement supérieurs à ceux de l'Europe. Il faut donc continuer le nomadisme, tous les produits se valent plus ou moins, et acheter systématiquement les promos et les produits les moins chers, et aussi (et je dirais surtout) s’ils sont tout en bas du rayon. Soyons, nous aussi, pionniers de la nouvelle consommation.
Défense-tech : le futur de la startup nation? 📈
Depuis le 7 octobre 2023, Israel vit une nouvelle réalité et c’est la Défense qui dicte beaucoup des événements du quotidien des Israéliens. Au-delà de la situation complexe et dangereuse, des combats au quotidien lors desquels les soldats de Tsahal mettent en danger leur vie pour notre sécurité, il y a aussi les réussites éclatantes d’Israël dans de nombreuses et inédites opérations qui font l’étonnement du monde entier. Il y a la meilleure défense antiaérienne du monde, et les techniques et stratégies mises au point au cours même de la guerre pour faire face aux défis posés par la guerre moderne la plus complexe de l’histoire : les tunnels, les zones urbaines très denses, les armements de pointe dissimulés dans de simples maisons.
Ce que l’on surnomme la défense-tech est pourtant un domaine extrêmement complexe à développer, en raison de la réticence des gouvernements à autoriser des transferts de technologie et de leur volonté de conserver leur avantage sur l’ennemi. Il y a aussi un élément clé : pour réussir à pénétrer les marchés occidentaux, il faut être avant tout approuvé par le département américain de la Défense, et pour cela, il faut être une entreprise américaine.
L’illustration est venue il y a quelques semaines lordsque Paragon, fondée en 2019 par un groupe d’anciens de l’unité 8200, avec l’investissement de l’ex-Premier ministre Ehud Barak, a reçu l’approbation du ministère de la Défense israélien pour être vendue au fonds d’investissement américain AE. La transaction pourrait atteindre près d’un milliard de dollars si Paragon atteint certains objectifs de croissance et de rentabilité dans les deux ans à venir. Les entreprises ont appris des échecs et des scandales des années précédentes, en particulier de l’affaire Pegasus, un logiciel espion que l’entreprise NSO avait vendu sans discernement à des régimes dictatoriaux et qui lui a valu de se retrouver sur la liste noire du Pentagone.
Paragon a développé un logiciel d’espionnage nommé GRAPHITE, capable de pénétrer des appareils et d’extraire des données, y compris d’applications cryptées comme WhatsApp, Telegram et Signal. Contrairement à NSO, Paragon vend seulement à dix démocraties, et a même refusé certains clients occidentaux de crainte de fuites de technologie. Le fonds américain AE, spécialisé dans les infrastructures et la défense, prévoit d’utiliser Paragon pour construire une grande plateforme de défense, et de créer un acteur majeur dans le domaine de la cybersécurité, qui pourrait être revendu à des géants comme Lockheed Martin ou General Dynamics.
Le récent Defense Tech Conference à Tel-Aviv a mis en lumière le rôle clé d’Israël dans le domaine et l’intérêt croissant des américains et européens pour ses technologies innovantes. Au moment où la high tech “classique” montre de nets signes de faiblesse et où Israël a plus ou moins raté le train de l’IA, l’innovation, la créativité et la réactivité qui ont toujours caractérisé la startup nation pourraient resurgir et lancer un nouvel âge d’or.
Prêts à la consommation : attention, danger 🛒
Comme si la situation financière des ménages n’était pas assez stressante avec les augmentations de prélèvement et la hausse incessante des prix, les banques et les sociétés de carte de crédit repartent à l’offensive du juteux marché du crédit à la consommation. Avec un volume total de 250 milliards de shekels, ce marché est dominé à 74% par les banques, une concentration évidemment malsaine. Rappelons que grâce à l’augmentation du taux directeur, celles-ci ont réalisé sur les deux dernières années des bénéfices historiques.
Les pratiques commerciales agressives observées sont particulièrement préoccupantes. Les banques, à commencer par Bank Hapoalim avec son portefeuille de 39 milliards de shekels, multiplient les campagnes publicitaires pour attirer les emprunteurs : une campagne sur deux actuellement à la télé, et un telemarketing permanent. Les taux d'intérêt moyens atteignent 9,19%, un niveau phénoménal.
Plus inquiétant encore, on observe une forte augmentation des défauts de paiement depuis la fin des moratoires accordés pendant la guerre. La situation est encore plus délicate dans le Nord et dans le Sud, plus touchées par la guerre, mais aussi constituant la périphérie sociale du pays : 25% de la population contre 16% du revenu national, des populations plus vulnérables.
Plus encore, le manque d'éducation financière des consommateurs les fragilise. Les experts en financement constatent que beaucoup ne comprennent pas la différence entre le taux d’intérêt payé sur un découvert et celui payé sur un prêt. On voit aussi se développer un nouveau phénomène où des avocats recherchent des clients en difficulté financière et les encouragent à se déclarer en faillite personnelle pour engranger des honoraires faciles, faisant rentrer leurs clients dans un processus long et difficile à quitter.
La réglementation reste insuffisante et les consommateurs pas assez avertis. Attention donc à toutes ces sollicitations. Si on vous propose plein d’argent tout de suite et qu’il a l’air gratuit, soyez-en certain : il y a un problème.
🎙️Pour en savoir plus
Le coût de la vie ne cesse d’augmenter et les marques sont à la fête. Tour d’horizon des mesures et infos conso qui seront à la une début janvier 2025. Explications et décryptage au micro de Daniel Haik.